Le pétrissage manuel ou la voie de la douceur

Pourquoi choisir de se mettre dans le pétrin en 2020 ? Quels avantages présentent cette méthode qui peut paraître archaïque et qui a la réputation d’être pénible physiquement ?

Photos Olivier Asselin

Depuis la nuit des temps, le pétrissage à la main est considéré comme une tâche particulièrement laborieuse – voire douloureuse – au point que les pétrisseurs étaient jadis appelés des « geindres« .

Aujourd’hui, grâce aux progrès technologiques, dans la plupart des boulangeries conventionnelles et des fournils bio, le pétrissage de la pâte à pain se fait dans un pétrin mécanique.

À La Micherie, depuis l’ouverture en 2018, le pétrissage du pain est réalisé à la main dans un grand pétrin en bois de hêtre massif.

Alors, pourquoi choisir délibérément cette méthode qui peut paraître archaïque ? En quoi consiste-t-elle concrètement ?

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Le choix du pétrissage manuel

Au tout début de l’histoire, quand La Micherie était petite et qu’elle s’appelait encore Les Miches de Soula : elle avait un pétrin mécanique dont elle ne se servait pas faute de triphasé à la maison.

C’est ainsi que l’aventure du pétrissage manuel a commencé, avec pas mal d’appréhensions et un peu par défaut.

Puis, en un tour de main, au contact de la pâte, les hésitations techniques et les inquiétudes premières se sont évanouies pour laisser place à l’expérience.

Le maître caché, c’est le pain. Faites-le, il vous enseignera.

Roland Feuillas, À la recherche du pain vivant, 2017

Après plusieurs années de pratique, il apparaît que le pétrissage manuel est un choix intéressant tant pour la pâte… que pour le boulanger.

Une pâte protégée

Dans l‘intimité du pétrin en bois, la pâte naît progressivement, sans bruit ni heurt.

La délicatesse du pétrissage manuel a l’avantage de protéger la pâte de l‘oxydation et de la surchauffe ce qui permet de préserver au mieux les nutriments présents dans la farine et de développer les arômes subtils du pain, même en adoptant un dosage faible en sel.

De plus, comme l’intensité du pétrissage augmente la résistance du gluten, la lenteur du pétrissage manuel favorise une meilleure digestibilité du gluten.

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Au cours du pétrissage manuel, tranquillement, entre gestes et regards, la cohésion se forme, la relation s’installe.
Cette douceur resserre les liens de proximité entre la pâte et le boulanger.

Un boulanger connecté

Comme l’évoque Nicolas Supiot dans sa vidéo sur le pétrissage, les vraies stars à l’oeuvre au creux du pétrin sont les quatre éléments : le feu (la farine), l’air (le levain), la terre (le sel) et l’eau.

En présence de telles puissances, le boulanger n’est qu’un chef d’orchestre qui coordonne le jeu des forces de la nature.

L’univers s’invite entre les mains du boulanger pour faire la fête, quelle chance !

Pour le boulanger, c’est une opportunité merveilleuse de se sentir en lien avec ce qui l’entoure. Ainsi, en quelque sorte, la qualité du pétrissage dépend plus de la foi du boulanger que de sa force.

Tout est là, la nature a tout préparé pour que la pâte se forme et que la vie se développe.

Louons le Ciel et la Terre, d’une rencontre intime, celle de l’eau et de la farine.

Daniel Testard, Que fais-tu là boulanger ?, 1985

Au quotidien, le pétrissage manuel est donc une invitation à cultiver la confiance et l’humilité et à renouveler sa gratitude. En ce sens, il est un exercice précieux qui rend le boulanger plus fort.

Techniquement, cet exercice se divise en plusieurs phases.

Les différentes phases du pétrissage manuel

En réalité, le pétrissage commence bien en amont. En effet, le choix des fournisseurs et la qualité des matières premières alimentent la confiance nécessaire à la formation d’une belle pâte.

Le moment venu, la première phase de travail est le frasage puis vient, éventuellement, le pétrissage à proprement parler.

Le frasage : concentration & action

Le frasage consiste à mélanger les ingrédients préalablement préparés.

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La préparation des ingrédients

Le sel de Guérande

À La Micherie, tout pétrin commence par la pesée du gros sel de Guérande (récolté sous mention Nature & Progrès) et s’accompagne d’une pensée pour le paludier et d’un voyage fugace dans l’univers de la mer.

Les farines

Ensuite, vient la pesée des différentes farines. Dans le pain de montagne nature, le plus classique, il y a 5 farines différentes. Au moins 3 farines de froment dont des blés de population, de la farine de seigle et de sarrasin. Toutes les farines mises en œuvre sont cultivées en bio et moulues sur meules de pierre par des paysans-meuniers locaux.

Le mélange de l’ensemble des farines est un festival de textures et de nuances. La richesse et la diversité s’invitent dans le pétrin et emportent irrésistiblement le boulanger vers l’extérieur du fournil, sur un chemin retraçant l’identité des farines : le terroir, la météo, la paysannerie, le moulin, le transport, le stockage et enfin, ça y est, le pétrin !

Les farines ainsi mélangées sont regroupées en deux tas aux extrémités du pétrin pour laisser la place centrale au Chef, le levain à maturité.

L’arrivée du Chef

Mettre le Chef dans le pétrin, ce n’est pas anodin !

Admirer ses bulles innombrables, sentir son odeur, accueillir d’un regard sa consistance, c’est déjà se projeter dans la promesse de la fermentation à venir. Son humeur dessine la couleur de la fournée.

Une fois que le Chef est dans la place, l’ambiance devient studieuse : le boulanger s’applique pour prendre les températures de la farine et du fournil.

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L’eau

Quand, par la crosse du doseur mélangeur, l’eau de la montagne jaillit au centre du pétrin, l’excitation est palpable.

Pour que la fertilité se propage, le boulanger dilue tranquillement le levain qui nage dans l’eau, pendant que, dans son imagination, une sorte de frénésie féconde s’empare des micro-organismes assoiffés et affamés. Sacré festin que celui qui les attend !

Cette opération ludique est l’ultime préparatif avant le bouquet final.

Le mélange des ingrédients ou frasage

Il suffit alors de faire fondre les icebergs de farines dans la piscine… Pour 90 kg de pâte, le mélange peut durer jusqu’à 15 mn et ne requiert pas de force physique particulière.

Quand toute la farine est hydratée, que l’ensemble des ingrédients sont uniformément agglomérés et que la pâte est bien homogène, c’est la fin du frasage et le début du pétrissage… ou pas.

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Le « repos » vaut pétrissage

À l’issue du frasage, la température de la pâte est idéalement aux alentours de 26°C et sa consistance est encore brute.

À ce stade, le boulanger laisse le levain finir de travailler la pâte de l’intérieur… C’est au tour du Chef de travailler un peu !

En effet, comme l’écrivait Malouin au XVIIIème siècle :

Le travail du levain dans la pâte surpasse encore celui des mains.

Après 1h de repos (pointage en masse à température ambiante), la structure de la pâte s’est déjà considérablement améliorée, sans aucun effort du boulanger. La pâte est devenue extensible et le réseau s’est affiné. Le levain a bien travaillé !

En complément de ce pétrissage minimaliste, et dans le but d’allonger la pâte et d’y incorporer de l’oxygène, le boulanger peut procéder à un soufflage léger après 1h de pointage en masse. À l’issue de cette opération optionnelle (qui demande un peu de force physique), la pâte devient lisse et soyeuse.

Si, par la suite, le boulanger observe un relâchement excessif de la pâte, il peut choisir de la bouler légèrement au moment de la mise en bac et/ou de lui donner un ou plusieurs rabats au cours du pointage.

Si vous en avez l’envie, ou pour dompter des farines moins dociles, qui ont besoin que le boulanger structure activement leur réseau de gluten, vous pouvez adopter la technique de pétrissage manuel décrite dans la vidéo de l’Eidb, qui donne par ailleurs d’excellents résultats.

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S’il existe 1001 façons de pétrir, La Micherie est heureuse de partager la sienne, sans prétention.

La richesse est au cœur de la simplicité. Pétrir à la main, c’est redonner du sens au métier de boulanger.

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9 réponses à “Le pétrissage manuel ou la voie de la douceur”

  1. Stephanie Billa dit :

    Quelle plume! une gourmandise !

  2. JOURNAUT GHISLAINE dit :

    Bonjour Amélie,
    Je savais bien qu’il n’y a pas de secret à la qualité de ton pain, tant d’attention, d’infini patience, de vraie et belle relation dans
    chaque étapes et avec chaque éléments qui constituent la fabrication de ce pain et tout cela dans une grande simplicité et sincérité. Pas étonnant qu’il soit merveilleusement bon ce pain, on en tombe amoureux et on en devient accroc !
    Merci Amélie.

  3. Campain dit :

    Ce métier pour moi est une drogue,j’ai 63 ans et je n’ai pas envie d’arrêter
    Malheureusement je ne pourrais plus pétrir à la main,déjà parce que les farines que j’achète chez mon menier ne s’y prête pas mais principalement parce que je n’ai plus le physique pour le faire
    Alors je me console en faisant de nombreux essais pour trouver des pains ayant vraiment du goût
    Respect à vous d’avoir la force pour faire du pain de cette qualité et je vous souhaite de le faire le plus longtemps possible

  4. Merci Campain, je maintiens que l’énergie mise en oeuvre est bien la douceur et non la force…

  5. MOKD dit :

    Bonjour

    Super votre article

    je suis un grand novice et je commence à peine à m’intéresser à la pâte
    j’aimerais connaitre la température de base lorsqu’on travaille la pâte à la main ( maison)
    On connait la température de la cuisine, celle de la farine mais celle de l’eau ?
    Exemple la temp de la cuisine 23 degré, celle de la farine 22 degré, celle de l’eau ?
    Qui détermine la TB pour trouver celle de l’eau

    merci beaucoup

  6. Bonjour,
    Merci.
    En Boulangerie la température de base est donnée dans la recette car elle dépend des ingrédients, du mode de pétrissage et de la fermentation choisis.
    À défaut, vous pouvez tester une TB de 70 et affiner en fonction des résultats.
    Bonne boulange !

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